Les importations de vin se divisent en 3 catégories principales :
1° les vins « en vrac », qui représentent 18,5% en volume des importations totales de vin au Japon (2,8% pour les vins français) mais seulement 4,2% en valeur (0,8% pour les vins français)
2° les vins en bouteille, qui représentent 69,5% en volume des importations totales de vin au Japon (81,8% pour les vins français) et 67,3% en valeur (61,4% pour les vins français)
3° les vins pétillants, qui représentent 12% en volume des importations totales de vin au Japon (15,4% pour les vins français) et 28,5% en valeur (37,8% pour les vins français)
Bien que les exportations vers la Chine ont dépassé celles du Japon en 2011, la progression du volume de vin exporté au Japon entre 2010 et 2011 est de +3,45% et de +2,95% en valeur.
(Source : 2011- douanes japonaises)
Mais ces chiffres positifs cachent une autre réalité: le constat d’une perte de vitesse des vins français sur le marché japonais depuis 15 ans. Ce, en dépit des importants budgets consacrés à leur promotion.
Comme l’illustre le tableau ci-dessous, on note une baisse constante de la part des vins français. A l’exception de l’année 2005, qui fût l’année du buzz concernant le « french paradox » (boire du vin rouge est bon pour le cœur) et logiquement le virage du vin blanc vers le vin rouge (en 2011, 54% des vins consommés étaient des vins rouges, 37% des vins blancs et 9% des vins rosés).
Part des vins français dans les importations totales
Egalement, on constate une progression moins forte des vins français comparativement à l’évolution globale du marché du vin au Japon.
Indice de progression des ventes de vin en bouteilles (année de référence : 1995)
Afin de mieux comprendre le marché du vin au Japon et son fonctionnement, attachons-nous aux 3 acteurs principaux : les importateurs, les distributeurs et les consommateurs.
Les importateurs
Le marché est contrôlé par les acteurs historiques du marché: les 4 brasseurs japonais (Suntory, Kirin, Sapporo et Asahi) qui importe chacun 10 à 30 millions de bouteilles/an. La raison de leur poids sur le marché est qu’à l’image des brasseurs en France, ils financent l’installation de nouveaux restaurants en échange de l’achat exclusif de leurs produits (bières, vins, soft drinks,…)
A côté de ces 4 géants, on compte environ 450 importateurs, de taille variable et principalement situés à Tokyo et Osaka, et on note une nette tendance à la concentration.
Voici quelques éléments à prendre en compte avant de les approcher.
1- Dans la majorité des cas les importateurs sont des spécialistes et connaissent le vocabulaire œnologique français. Cette connaissance théorique n’est pas pour autant associée à une connaissance intime de la culture française. La majorité des acteurs n’ont de la France que des expériences courtes de voyages d’affaire. Ils restent profondément japonais et ne sont pas au fait des réalités du vin dans le quotidien des français, qu’ils ne connaissent pas, et qui est éloigné du quotidien des japonais.
2- Les importateurs sont submergés de requêtes. Pour se distinguer, il faut créer des liens qui supposent des rencontres et la diffusion de propositions de façon régulière. Le suivi pour le développement d’un rapport de confiance est un élément de la relation commerciale et un moyen de se distinguer de la concurrence.
3- Il existe un décalage important entre le message de l’importateur et la réalité de la demande actuelle sur le marché dominée par l’élément prix. Même si l’importateur-distributeur souhaite développer le long terme et la reconnaissance pérenne de marques (une part du marché est largement axée sur l’image, le prestige et la renommée), la demande est massivement pour les prix bas, et dans la restauration pour des prix planchers de vins dont l'origine indiffère (on mettra une étiquette adhoc).
4- Les importateurs disposent de stocks importants. Cependant, les vins français bénéficient d'une excellente image de qualité et d'authenticité auprès des professionnels et des consommateurs japonais. La valeur "refuge" du vin français, traditionnellement haut de gamme, de bonne qualité dans la mentalité japonaise, joue un grand rôle dans cette période de crise économique.
5- L’alphabet est au Japon une graphie étrangère. Ce qui est écrit sur les étiquettes est la plupart du temps illisible pour qui n’a pas une certaine éducation et une curiosité d’amateur de vins, c’est à dire la majorité des japonais. La graphie est avant tout décorative. Les motifs visuels sont donc les premiers vecteurs d’intérêt devant entrer en résonnance avec l’envie de se faire plaisir avec du vin, et aussi se conférer une image sophistiquée en buvant du vin. Ce qui n’est absolument pas le cas avec les boissons majoritaires (bières, shôchû, saké). Il en va de même pour l’estampille « AB » qui ne signifie rien pour qui ne sait pas, c’est à dire encore la majorité. Le message en japonais sur l’étiquette au dos est d’autant plus important pour transmettre une information claire, à condition de savoir ce que le consommateur veut vraiment savoir et quels sont les éléments qui génèrent son envie de vin.
Les distributeurs
En 2003, 90% de la consommation du vin étaient effectués au travers des hôtels, restaurants et bars. Aujourd’hui, 70% de la consommation de vin sont réalisés à la maison. Dès lors, il convient de s’interroger ce changement profond du mode de distribution.
Les japonais ne sont plus les « nouveaux riches » de l’Asie. Les consommateurs sont plus sélectifs et attachent une grande importance au prix. Il y a 15 ans, la plupart des supermarchés à Tokyo ne vendaient pas de vin et, il y a 5 ans, les convenience stores n’en proposaient pas. Aujourd’hui, les supermarchés offrent en moyenne 100 à 200 références de vin !
Grâce à internet (fixe et mobile), les consommateurs ont pu constater les écarts de prix qui existent entre les supermarchés et les restaurants: 3 à 4 fois plus cher… Cela fait réfléchir ! D’autant plus que les grands magasins (installés dans les gares) proposent de plus en plus de plats cuisinés. Il est donc maintenant facile pour les japonais de se faire « un restaurant chez soi ».
La grande distribution semble donc être le marché d’avenir pour le vin (exemple : rachat de YAMAYA un grand importateur spécialisé dans le vin par la chaîne de supermarchés AEON).Cependant, la faiblesse des supermarchés réside dans le conseil. La plupart des employés sont des étudiants ou des étrangers et donc peu connaisseurs du vin. Ce point représente un atout non négligeable pour l’autre réseau de distribution d’avenir : le e-commerce.
La vente de vins sur internet progresse mais représente encore une faible part (environ 3% des ventes). Ainsi, la 1ère société de vente de vin en ligne réalise un CA d’environ 6 millions d’€ et Rakuten –le géant local du e-commerce- réalise 10 à 15% des ventes totales sur internet. Toutefois, la possibilité qu’offre internet de s’informer rapidement pour choisir un vin (sans parler des agents virtuels qui vont se généraliser) fait de la vente en ligne un canal à privilégier.
Les hôtels (principalement avec les réceptions), les restaurants et les bars spécialisés restent un canal important (environ 30% à 40%) car le développement du marché du vin a été principalement réalisé par le développement de la vente de vin dans les grandes surfaces.
Les consommateurs
En grande majorité, le mode de consommation du vin est la recherche d’une certaine ébriété plaisante, et derrière l’illusion de se distinguer en buvant du vin, finir finalement par boire pour soutenir la socialisation (entre collègues, amis, couples, à la maison, au restaurant,…).
Dès lors, une meilleure connaissance des modes de consommation locaux doit permettre de mieux nourrir la sélection des produits et la mise en place des campagnes de promotion. Pour ce faire, il est d’abord nécessaire de reconnaître ce qui est spécifique aux goûts et mœurs locaux sans y porter de jugement de valeur, mais pour y trouver au contraire des niches marketing encore inexploitées.
Voici 3 pistes qui nous semblent intéressantes.
1- Cibler les femmes. Alors que le discours local met en avant la spécificité (supposée) de produits et services conçus pour les femmes, la femme comme prescripteur d'achat de vin n'est toujours pas desservie par un marketing véritablement féminin. Continuer à ignorer ce fait culturel qu’il est possible par exemple d’affirmer que « ce vin a été composé particulièrement pour les femmes (par des femmes vignerons …), avec un bouchon facile à ouvrir », n’est pas une marque de sexisme au Japon mais bien un signe de soucis de plaire aux consommatrices. Ce sont les consommatrices qui vont se sentir de connivence avec l’information que le vigneron est une vigneronne. Pour les hommes, cela ne constitue pas un argument attractif, juste une anecdote étrange.
2- Proposer des sets, particulièrement comme cadeaux échangés pour les traditions saisonnières que sont “oseibo” et “ochugen” Une compréhension des faits culturels est indispensable. Ces moments clés de l’année japonaise régissent les échanges traditionnels de cadeaux au Japon et constituent des périodes intensives de vente pour les grands magasins et les VADistes. Développer des offres de sets avec un packaging festif ou de prestige adéquat est à envisager, ne serait-ce qu’à titre de prototype ou de suggestion visuelle, aussi pour montrer que l’on est au courant des réalités et coutumes japonaises. Ne pas percevoir ces opportunités de commerce comme des “one shot” puisqu’ils se répètent deux fois par an tous les ans.
3- Saisir la demande potentielle pour des bouchons à vis. Plutôt que de signifier que cela coûtera plus cher (les interlocuteurs le savent parfaitement), il est important de comprendre les raisons de cette demande :
• les réceptions en tout genre sont une activité importante des grands hôtels où le coucher n’est qu’un service parmi d’autres. Au cours de ces réceptions, la demande de vins à bouchon à vis est forte (facilité d’ouverture).
• Nombre de personnes ne savent pas utiliser un tire-bouchon et l’objet n’est pas courant dans les maisons.
• Le bouchon à vis est bien plus facilement manipulable par les femmes qui sont le moteur actuel de consommation de vins au Japon. Hormis pour les rares fans cultivés de vin, le bouchon à vis n’est pas lié à une image de bas de gamme. Le pragmatisme l’emporte sur l’image sur ce point, et même les saké haut de gamme japonais ont des bouchons à vis. Les bouteilles en plastique dur simulant la forme de la bouteille traditionnelle sont apparues depuis peu avec des Beaujolais nouveaux vendus en grande surface autour de 600 yens (quand la norme est encore au-dessus de 2.000 yens).
Conclusion
Finalement, pour réussir sur le marché du vin au Japon, il faut s’attacher à coller aux réalités du marché et ne pas projeter sur la réalité les envies du vendeur. L’exemple des vins corsés, des vins liquoreux qui sont peu appréciés au Japon devraient conduire à faire des choix stratégiques et faire l’économie de les présenter, ou de les garder uniquement en réserve.
Vouloir éduquer le consommateur est vain, les importateurs et distributeurs n’ayant pas le pouvoir de diffusion marketing des grandes marques de masse et des médias qui diffusent en permanence à la télé des images idylliques et idéalisées du bien vivre ailleurs dans les autres pays, pour retomber sur terre avec une image populaire que constitue le boire et le manger comme moment classique de socialisation, ou à la maison en famille.
Il s’agit donc d’apprendre et s’adapter aux envies des consommateurs, et des consommatrices, en proposant une offre correspondant à une niche-produit clairement identifiée.
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